14/06/2018
Oui, je cède à l'émotion, Monsieur Macron
Que fais-je quand j'aime,
quand je prends mon amour
dans les bras,
quand je lui fais l'amour,
quand je lui fais confiance
et lui accorde tous mes violons
contre les siens,
quand je lui écris des poèmes,
sans jamais arrêter d'y croire,
en lui donnant le goût d'y croire un peu
à travers toute la force de notre amour,
quand j'attends de nous monts et merveilles
pour faire de notre formidable rencontre
un avenir sur cette Terre?
Je cède à l'émotion
et j'oublie la situation
pas si rose que ça,
son travail d'escort,
sa jeunesse,
ma précarité financière,
mon âge,
nos résistances,
nos craintes,
nos doutes,
notre côté réfléchi
qui dit que probablement
tout finira mal
entre nous deux,
ou plutôt que tout finira autrement
mais dans cet ailleurs,
dans cet autre mélancolique
d'une grande beauté humaine,
que notre amour s'effacera
au profit de l'amitié
mais que notre amour était un peu,
mais pas seulement, du cinéma,
a love story in erotic saloon,
et que je jouais à Charlie Chaplin
avec Sara, ma putain,
un crooner comique qui se perdait
entre les bras de son amante
s'offrant à mille hommes
avec pourtant le rêve merveilleux
de réinventer la lutte historique
de l'amour romantique
se cognant contre les murs
de l'amour intéressé,
de la Real Politik
fabriquée par notre monde cynique
n'offrant son intérêt et son temps
qu'aux jolies têtes blondes
Benettonisées,
united colors,
united dream,
united kingdom,
mais seulement celui des gens,
d'une certaine élite,
qui ont une belle situation,
de l'argent,
et qui sont bankable et solvables
partout dans le monde.
Oui, je cède à l'émotion,
Monsieur Macron
quand je vois des gens se noyer,
et que personne ne monte plus
sur le pont (sur le balcon)
pour les sauver de leur détresse,
de leur très inconfortable situation
de suspendus, de suspendues
à la mort,
et que tout le monde
a filmé d'en-bas,
y compris à l'Elysée,
en attendant
qu'un navire plein à craquer
d'humanité
coule corps et âmes
dans le bleu-sang
de notre Méditerranée.
C'est nous-mêmes
qui coulons,
Monsieur le Président,
nous et notre République,
nous et nos droits humains,
nous et nos vertus démocratiques,
nous et notre amour romantique
en ignorant cette émotion primale,
ce cri primal de notre coeur,
pour des intérêts bassement cyniques,
des questions d'égoïsmes personnels,
des questions de gestion du territoire,
des questions qui nous confrontent
sans cesse et durablement
aux capacités de nos humanités.
Et si je perds ma vie
avec ces migrants,
et si je me noie
avec ces migrantes,
et si je meurs
avec ces enfants,
et si je perds
un peu plus de mes illusions
au bout de mon parcours amoureux,
j'aurai fait selon mon coeur,
selon mes sentiments profonds,
selon le héros Charlie Chaplin
muet et comique
se tenant vent debout
devant son héroïne Sara
pour faire grandir leur amour
sur les murs tragiques
de l'existence humaine
et debout, même mort,
même vaincu, même cocu,
face aux grandes désillusions
de l'amour romantique.
A la fin,
c'est l'amitié entre les peuples
qui en sortira vainqueur,
Monsieur le Président.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/14/l-affaire...
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