13/08/2019
Toni Morrison: strange fruit in paradise
Être agressé en permanence
par un monde en pleine crise de démence.
Je ne plante pas de semence
dans un sol infertile.
Je suis pendu haut et court
au sommet d'une vile potence.
Je suis un horrible épouvantail
endormi dans mes nuits de coton
un épouvantail qui libère
sa souffrance volcanique
en déclarant son amour de soufre
et d'oeuf pourri
à ce monde qui a la haine
de la différence,
de la liberté,
de l'échappée belle
cisaillant les barbelées
et laissant venir à lui
la femme et l'enfant
en train de se noyer.
Je n'ai pas peur de disparaître
ni que ma propre culture disparaisse.
J'ai peur des égoïsmes,
du fascisme auto-satisfaisant
et de ses paresses morales.
C'est trop facile
de se croire maître de son sol.
C'est trop facile
d'avoir reçu la bénédiction des dieux
à la naissance,
de vivre dans le plus beau des pays
du monde,
d'avoir la paix la plus royale
du monde,
de pouvoir vivre en harmonie
dans son joli jardin
quand la planète entière
est en jachère,
quand les peuples
se font la guerre,
quand la Terre
est en train de mourir,
quand les fleuves de la haine
éclatent dans le sang et le crime,
débordent de toutes leurs injustices,
de toutes leurs basses violences,
des miasmes des ghetto Noirs
aux orgasmes pédophiles
des grands maîtres Blancs.
J'ai mal dans mon coeur
d'être pris pour un grand hypocrite
au sein de ma propre famille.
J'ai mal dans mon coeur
de croire qu'on me fasse
sans cesse ce procès infâme
d'écrire et de mettre en danger
le monde et ma culture originelle
à travers mes écrits universels.
J'ai mal dans mon coeur
qu'on puisse penser qu'aimer
une femme de moitié son âge
ne puisse être de l'amour
ni de son côté ni du mien
mais juste un échange
de mauvais procédés sexuels
où seul l'intérêt égoïste
participerait
de cette union étrange
entre une jeunette et un vieux,
de ce paradis perdu
que je recherche sans cesse,
de cette adolescence réprouvée
pour dépassement d'âge.
Et quoi?
Ne peut-on jamais rester jeune
dans sa tête et son corps
malgré les injures du temps?
Je suis un vieux,
je le confirme
et je l'assume
avec ma provocante jeunesse.
Je suis un vieux
qu'une jeune femme ravissante
regarde dans les yeux
en lui faisant l'amour
avec des mots d'amour.
Je suis un vieux
qui restera dans sa mémoire,
dans son joli coeur d'amour,
dans sa vitrine aux souvenirs,
chez elle dans sa maison
en se remémorant
tous ses instants heureux passés
avec son poète maudit,
son compagnon d'infortune.
Je suis un Blanc qui se fait Noir
et un Noir qui se fait Blanc.
Je suis polyculturel
et j'emmerde le monde
et sa monomanie monoculturelle.
Je suis un homme
refusant les frontières et les murs,
n'ont que les frontières et les murs
ne soient nécessaires
à un monde organisé propre en ordre
mais parce que cela participe
à la déchéance mortelle
de tout homme, de toute femme,
que de fermer à jamais la porte
à un enfant et une femme qui se noient,
à un jeune homme, à une jeune fille
qui cherche un avenir
et qui trouve la mort
sur sa folle route
à cause de l'indifférence
que les gens lui projettent,
par cette haine et cette peur
que les gens lui renvoient,
par le dégoût et la souffrance
qui lui inspirent au final
ce rejet, cette indifférence,
cette ségrégation,
cette façon de lui signifier
qu'elle ou lui sont d'étranges envahisseurs
qui vont finir par nous dominer,
nous soumettre à leur charia
écrite par un vieux pédophile mort
il y a 1400 ans
alors même que notre charia démocratique
voulue par nous
impose des maîtres dégénérés pédophiles
et que le peuple vote au final pour eux
en quasi connaissance de cause,
des violeurs d'enfants et de jeunes filles,
église, économie, et politique confondues.
Je n'ai pas de morale à faire
ni à une femme voilée
ni à une prostituée.
J'ai une souffrance à porter
et parfois elle s'exprime
quand elle est trop violente,
trop injuste, trop intense
et qu'elle se lit sur le papier
en toute transparence.
Je n'aime ni les gourous,
ni les maîtres,
ni les seigneurs.
Je ne me prends
pour aucun d'eux.
Je ne suis le chef de personne
et je ne crois pas l'avoir écrit
ou alors était-ce par dérision
ou dans un moment de perdition?
Je ne crois pas plus
que beaucoup de gens
me lisent d'un oeil attentif
et je ne crois pas non plus
que je puisse avoir grande influence
sur quiconque vient ici.
Mais...
Mais je me saigne et me livre
dans ma pensée et mes mots.
Et je suis tellement déçu,
rempli d'effroi et de désespoir
quand je vois que le monde
va à contre-sens de ma pensée
et de mon désir d'un autre monde.
J'ai mes moments de doute
et de déprime
comme tout le monde
et je crois qu'il est parfois
temps d'abandonner tout espoir
de réel changement,
qu'il est temps pour un écrivain
d'abandonner l'écriture
puisque je ne laisse
que de vains silences
et guère de traces,
que si peu de commentaires
viennent fleurir mes billets.
Je suis un être humain.
Pas le surhomme de Nietzsche.
Je suis un homme
avec sa vie de misérable,
ses peines, ses délires,
ses sourires et ses larmes.
Je suis un vagabond de la pensée,
de la spiritualité, de l'amour,
de la vie tout simplement.
Je ne m'arrête pas sur un système,
sur une idéologie, sur une religion.
Je pêche ma spiritualité
comme un pécheur
qui court la gadoue,
les petites rues,
et les prostituées.
J'aime une jeune prostituée
et je crois qu'elle a aimé
son vieux compagnon de route
de tout son coeur
sans pour autant faire
de sa peau usée
son tambour battant pour la vie,
sa vieille peau affamée
sur la mauvaise pente
de l'obsolescence
ne pouvant satisfaire
ses besoins d'avenir et de famille.
J'aime tout ce que tu détestes
et tu hais chez moi.
J'aime tout ce que tu n'aimeras jamais,
la déraison, la fuite du chalet
aux allures de bonheur
et de réussite personnelle
que tu t'octroies à penser juste,
d'avoir découvert que nul n'est besoin
de partir ailleurs,
il suffit de cultiver son jardin
sur la pente d'une montagne orgueilleuse
pour ne pas souffrir
et ne pas faire souffrir autrui
plus que nécessaire,
des gens inconnus
qui ne nous attendent d'ailleurs pas,
de préférer cultiver sa terre et son coeur
sans vouloir déranger personne,
de rester simplement soi,
bien chez soi,
sur son petit territoire
avec de grands esprits livresques
et de se créer son petit paradis
sur Terre avant de mourir.
Tout le monde devrait faire pareil
et le monde se porterait beaucoup mieux.
Je te renvoie à ta pensée simpliste.
Demande à un habitant de la Terre
sans logis, sans sécurité,
sans moyen, sans amour,
d'aimer le monde et les gens
comme toi, de très loin,
sans aucun contact nécessaire,
sans échange culturel,
sans rien d'autre
que de lui transmettre
un peu naïvement et stupidement
qu'il devrait cultiver son jardin
pour vivre en paix et en harmonie
alors que tout le monde
l'a abandonné à son triste sort.
Peut-être as-tu raison.
Tu ne perds pas ton temps.
Tu savoures ta vision
sur ton nid d'aigle.
Tu aimes dénigrer
ton frère qui se contredit
et qui change de religion
comme de chemise.
Charles Baudelaire a écrit
dans Fusée:
"Quand même Dieu n’existerait pas, la religion serait encore sainte et divine.
Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister.
Ce qui est créé par l’esprit est plus vivant que la matière.
L’amour, c’est le goût de la prostitution. Il n’est même pas de plaisir noble qui ne puisse être ramené à la prostitution.
Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.
Qu’est-ce que l’art ? Prostitution."
Je suis une pute infidèle,
réfractaire à tous les dogmes,
à toutes les vérités définitives
et à cette prétention d'un dieu
supérieur à tous les autres dieux,
une pute infidèle
qui refuse la soumission
à une quelconque charia
écrit par un seul homme ou quelques-uns,
une pute infidèle
qui va et vient
d'un monde à l'autre,
une pute infidèle
qui incite son lecteur, sa lectrice
à l'aimer ou le haïr
mais en réfléchissant bien
au pourquoi de son amour ou de sa haine
envers lui,
de cette haine
à cause de sa trop grande liberté
d'interprétation du monde
et sa façon d'aimer quand il veut,
où il veut, avec qui il veut.
Et si je dérange trop,
tant pis.
Et si je me trompe trop,
tant pis.
Et si je suis trop dangereux,
tant pis,
Et si je suis trop rien,
tant pis,
Et si je suis trop tout,
tant pis.
Et si je mens trop bien,
tant pis.
Et si je dis la vérité trop bien,
tant pis.
Et si je souffre trop bien,
tant pis.
Et si on me tue trop bien,
tant pis.
J'aurai été ce fruit étrange
issu d'un naufrage perpétuel
pendu au sommet de son arbre.
J'aurais été le banni, le proscrit,
le haït jusque dans sa propre famille.
Alors tant pis.
Ma façon de rendre hommage
à une grande dame de la culture mondiale.
Toni Morrison
après ce week-end pourri
par nos trop grandes différences
et nos incompréhensions mutuelles.
Je t'aime pourtant, frangin.
Et je sais que tu m'aimes aussi.
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