18/05/2020
Ensorcelle-moi encore
Jamais vu le bistrot aussi mort
et cette ambiance plombée
comme si des milliers de gens
avaient viré de bord
partis pour un autre port
disparus corps et âmes
dans l'alambic des océans.
Jamais vu l'avenir aussi incertain
l'horizon barré de gros nuages noirs
comme si nos vies virait définitivement
au plus gros chagrin du monde
au bout de ce confinement mortel
au bout de cette rue silencieuse.
Nous avions déjà perdu
nos bars enfumés.
Nous avions déjà perdu
nos bouges à filles perdues.
Nous avions fait une croix
sur nos buibuis mal famés
réunissant les âmes isolées
à la recherche de l'âme soeur
pour une nuit pour une heure
l'espace d'habiller la détresse
de joie et d'allégresse
de vin rouge et d'ivresse.
Et maintenant
nous avons perdu notre métier.
Nos vieilles casseroles
ne tintinnabulent plus
sur le vieux piano.
Nos jurons ne s'inventent plus
et nos disputes se sont éteintes.
Nous tournons en rond
comme des corbeaux
au-dessus d'un corbillard.
Nous regardons hagards et groggy
toutes ces chaises vides
entourées de plexiglas
cette ambiance hygiénique
cette atmosphère de mort clinique
notre histoire qui agonise
après toutes ces années de succès.
Ils étaient un millier à boire et manger
à festoyer dans la gaité
le week-end précédant
le Grand Confinent.
Ils ne sont plus que cent cinquante
à revenir croire à la fête
dans un espace aseptisé.
On ne garde pas deux mètres de distance
au bistrot des amis.
On ne reste pas sans rire et s'aimer
au bistrot des amoureux.
On ne reste pas sans parler fort
au bistrot de la gaité.
On hurle de joie
ou on pleure pour sa belle
partie pour un autre.
On ne reste pas sobre au bistrot.
On se soule pour oublier
peines de coeur et abandon
éclats de bonheur et de frissons
entre la clientèle et la serveuse.
Ils étaient des milliers
à s'en foutre de Corona
arrivant à nos portes
pour nous mettre en bière.
Ils sont maintenant des milliers
à fuir la foule et le bruit
l'ambiance des grands soirs
où l'on fêtait dans la joie
un anniversaire
une fin d'année scolaire
un repas en amoureux
un départ en vacances
un voyage à la retraite
un repas d'affaire
une sortie touristique
une vadrouille entre amis.
Mon âme est en peine
cette nuit et toutes les autres
tant que les bistrots
n'auront pas ressuscité
d'entre les morts
tant que je ne reviendrai plus
au pays du bistrot mal famé
avec ma belle amoureuse
et ses grands yeux dans mes yeux
nos mojitos et nos corps humides
prêts à partir au combat
pour nos retrouvailles.
Ensorcelle-moi encore
pour oublier ce coup du sort.
Ensorcelle-moi encore
je t'aimerai plus fou que mort
entre tes bras d'amour
sur ton lit de pétales de rose
oubliant toute cette misère
ce grand malheur tombé sur la Terre
et la fin de ma carrière
de cuistot aux galères.
A toi Leila,
viens me chanter ta douce chanson
au creux de l'oreille.
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